Résumé
Comme l’innovation devient l’une des priorités de nos entreprises afin de préserver leur croissance, nos dirigeants voient désormais le capital humain comme l’un des véritables facteurs de succès. Pour les professionnels des RH, cette évolution des mentalités est une occasion de jouer réellement un rôle de «business partner». Dans cette optique, la fonction RH, encore trop centrée sur son expertise technique, doit développer, et parfois retrouver, sa légitimité et sa crédibilité auprès de ses clients et des dirigeants. Cette confiance passe certainement par la capacité à délivrer des résultats.
La ressource humaine moteur de la croissance ?
En permanence confrontées au défi de la valeur, nos entreprises ont produit ces dix dernières années d’importants efforts de productivité et de maîtrise des coûts. Les pratiques d’off-shoring et d’outsourcing se sont ainsi largement développées en support de stratégies relativement similaires d’un secteur d’activité à l’autre et visant pour l’essentiel à se recentrer sur son cœur de métier et à atteindre une taille critique pour profiter d’effets de volume. La litanie des plans sociaux comme le faible engagement des salariés, cadres inclus, doit en témoigner: il n’y a plus beaucoup de graisse et l’on a certainement commencé à tailler dans le muscle! Même s’il y a encore certainement des gisements d’économies à trouver dans certaines filières, il n’en reste pas moins que la plupart des observateurs avertis s’accordent aujourd’hui à considérer que nous sommes arrivés aux limites des efforts que nous pouvions produire en la matière. Et contrairement à certaines idées reçues, la France n’est pas à la traîne puisque sa productivité se situe à la troisième place mondiale, juste derrière les Etats-Unis, et est significativement supérieure à celle de la Grande-Bretagne.
Ainsi, résoudre l’équation de la valeur de l’entreprise ne peut manifestement plus reposer sur le seul dénominateur, il faut désormais agir sur le numérateur. L’enjeu actuel de nos entreprises n’est plus celui des seuls coûts mais aussi celui de la croissance du chiffre d’affaires, et plus spécifiquement hors de nos frontières. En effet, nos marchés domestiques sont clairement atones. La croissance moyenne du PIB de 1,4% en zone Euro de 2003 à 2005 – la France s’en sortant à peine mieux que ses camarades avec une moyenne de 1,5% sur la même période et un deuxième trimestre 2007 qui stagne à 1,2 % en rythme annuel – ne suffit pas à satisfaire le niveau d’exigence des actionnaires de nos entreprises. Autrement dit, la croissance est ailleurs que chez nous. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que les entreprises du CAC 40 réalisent la grande majorité de leur chiffre d’affaires à l’étranger, … ou peut-être aussi de répertorier le nombre de «cap croissance» que nos entreprises engagent pour mobiliser les troupes sur «un objectif à deux chiffres», souvent perçu comme exagérément ambitieux par les dirigeants eux-mêmes.
Or, dans l’éternel débat sur les déterminants de la croissance, lorsque le moteur de la productivité atteint ses limites, celui de l’innovation revient souvent au galop. Ainsi, dans le cadre du suivi de la stratégie de Lisbonne, le vice-président de la Commission Européenne en charge des entreprises et de l’industrie, M. Günter Verheugen, affirmait que «la stimulation de l’innovation est un pilier essentiel dans notre partenariat pour la croissance et l’emploi. Les chiffres montrent clairement que les secteurs les plus innovants ont généralement des taux de croissance de la productivité plus élevés» (source).
L’innovation est évidemment un facteur déterminant de la croissance. Pour autant, nous en privilégions trop le seul aspect technique, là où le réalisme des affaires exigerait vraisemblablement de ne pas sous-estimer les dimensions organisationnelles, managériales et humaines. L’innovation en termes de produits et de services est toujours bonne pour la croissance, c’est une évidence. Mais dans un contexte de concurrence mondiale sauvage, celle-ci ne suffit plus lorsque les pays émergents – qui nous font une concurrence que nous qualifions souvent à tort de «déloyale» – commencent à s’attaquer à nos prés carrés, c’est à dire à ceux de l’ingénièrie et de la matière grise, à ceux d’une économie qu’il est désormais d’usage de qualifier «d’économie du savoir». Il nous faut en effet aussi être capable de revoir en profondeur nos modes de fonctionnement, nos pratiques managériales, et nos modes d’organisation pour disposer du minimum de souplesse et de flexibilité permettant d’affronter cette concurrence. Nos préjugés culturels ne nous y aident certainement pas, tant certaines de nos élites voient encore dans la Chine ou l’Inde de seuls pourvoyeurs de main d’œuvre à bon compte, certes menaçants à terme, alors que ces pays nous concurrencent sur la quasi totalité des plans (lancement d’un programme aéronautique et émergence de constructeurs automobiles sur la scène européenne pour la Chine par exemple, hausse drastique des salaires à Bangalore et pénurie de développeurs pour l’Inde, développement rapide des plates-formes de BPO au Maghreb ou à l’île Maurice, etc.).
Schématiquement, la croissance de nos entreprises européennes est devenue un enjeu d’innovation. Un enjeu d’innovation technique à destination des clients mais aussi et surtout d’innovation en termes de «Business Model» qui s’appuie inévitablement sur une innovation « sociale » et « managériale ». Aux traditionnelles stratégies de volume s’adjoignent désormais des logiques de différenciation, de recherche permanente de monopoles temporaires qu’il faut sans cesse renouveler. Ceci implique – entre autres – une double transformation culturelle : savoir fabriquer de l’excellence et être capable de trouver une agilité collective efficiente. Ces besoins d’exigence et d’agilité, dictés pour l’essentiel par une «hypercompétition» mondialisée, supposent une révision en profondeur des modes de management traditionnels, un fort développement des capacités d’adaptation des individus, corps dirigeant en tête, ainsi qu’une attention particulière portée au management des talents. A l’évidence, il ne s’agit pas là d’une question d’organisation ou de process mais bien une affaire de ressource humaine.
L’avenir de nos entreprises dépend des ressources humaines. Le mot est lâché, il résiderait donc aussi dans ce mot, «talents», individuels peut-être, collectifs certainement, c’est-à-dire cette richesse humaine qui permet de disposer d’une organisation non seulement capable d’innover sur le plan des produits et des services qu’elle offre mais aussi prête à se réinventer en permanence, apte à s’adapter sans cesse à de nouvelles donnes. Ce que l’on pourrait sommairement appeler l’intelligence collective, nécessitant de.passer d’un hypothétique et balbutiant management des talents individuels à un management du « Talent » de l’entreprise. Et c’est théoriquement bien cela la mission d’une direction des Ressources Humaines : garantir que l’entreprise dispose en permanence des compétences individuelles et collectives, en bon nombre et motivées, pour assurer les objectifs de politique générale.
DRH? une ambition toujours aussi «stratégique»!
Le décor pourrait donc être planté : les Directions des Ressources Humaines auraient enfin devant elles le terrain stratégique auxquelles elles prétendent depuis des années. Un terrain que Jean-Michel Caye du BCG nous confirme dans Les Echos: «L’agenda du DRH n’a jamais été aussi riche et stratégique». Assisterait-t-on à un changement de paradigme pour une fonction trop souvent cantonnée à la gestion administrative du personnel, à la paie, et aux rapports avec les partenaires sociaux ? Serait-on réellement en train d’assister aux prémices de cette prise de pouvoir dans les comités de direction que les praticiens de la fonction Ressources Humaines appellent de leurs voeux ? Le directeur du personnel céderait-il enfin sa place au Directeur des Richesses Humaines ?
S’il est difficile aujourd’hui de conclure objectivement à une quelconque transformation observable de la fonction tant le poids de la culture de nos entreprises – financière notamment – rappelle les directions des Ressources Humaines à la dure réalité des affaires, on peut néanmoins noter une évolution significative de la posture des dirigeants face à cette question. La question Ressources Humaines, particulièrement sous l’angle de l’engagement des salariés, est désormais considérée comme un enjeu critique. Et ce d’autant plus que l’un des premiers critères de cet engagement serait «l’intérêt sincère de la direction générale pour la satisfaction et le bien-être des salariés» (source).
L’idée selon laquelle le lien entre l’engagement des salariés et la performance financière de l’entreprise serait direct est de plus en plus répandue et partagée. Ce lien a toujours été « intuitivement » considéré comme logique mais l’évolution des attitudes individuelles des salariés (importance accordée à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, développement d’une culture du mercenariat chez certains, éloignement des jeunes salariés à l’égard des valeurs conventionnelles de l’entreprise, émergence d’une culture «Take the money and run», etc.) constituent des projecteurs auxquels nous n’étions plus habitués que dans une littérature spécialisée ! Les états-majors sont en quelque sorte conduits par la force des choses à penser que le capital humain est l’une des principales clés de la performance. S’il devait y avoir un changement de paradigme dans la planète ressources humaines, ce serait celui-ci : les directions générales n’y verraient plus une ressource qu’il suffirait de gérer mais une ressource rare qu’il faut préserver et faire fructifier. Si les financiers pouvaient désormais réifier cet immatériel, chiffrer cet «intangible asset» la partie serait alors définitivement gagnée ! Certains s’y sont d’ailleurs risqués, pour conclure que la valeur boursière des entreprises du Standard & Poor’s 500 classées parmi les «meilleurs employeurs» aurait évolué deux fois plus que celle des autres (10.8% contre 5.7% entre 1998 et 2002) (source).
On peut ainsi raisonnablement penser que la fonction ressources humaines dispose d’un terrain favorable parce que la propension des dirigeants à lui accorder un crédit est plus grande qu’auparavant, et cela simplement parce que la performance d’une entreprise dépend plus que par le passé de sa capacité à attirer, retenir et motiver les talents et à les « agencer » en une collectivité intelligente : «dans un tel environnement incertain, il faut faire confiance avant toute chose aux hommes et à leurs ressources personnelles» (source).
Ce grand challenge des directions des Ressources Humaines pour les années à venir est loin d’être une gageure. Et cela d’abord parce que la matière première, la ressource humaine (à défaut de « talents ») est :
– de plus en plus rare,
– de plus en plus volatile,
– de plus en plus exigeante,
– de plus en plus lucide,
– et vieillissante.
Les effets démographiques, liés au papy-boom et au vieillissement de la population, combinés à une défiance des jeunes pour l’entreprise qui gagne l’ensemble du corps social jusqu’aux cadres dont le malaise a été si bien décrit par François Dupuy, rendent la tâche ardue. Et ce d’autant plus que l’on observe que la conception du contrat moral qui lie l’employeur à l’employé évolue progressivement d’un lien de subordination vers un échange de services voire parfois vers le «donnant – donnant».
Toute cette ambition stratégique qui vise à faire de la Direction des Ressources Humaines le grand ordonnateur d’une entreprise faite d’entrepreneurs agiles, flexibles et innovants, rendue plus ambitieuse encore par les évolutions sociales et démographiques auxquelles elle se heurte, est résumée dans les cinq priorités des DRH d’ici 2015 selon le Boston Consulting Group:
– Gérer les talents ;
– Régler les problèmes démographiques ;
– Transformer l’entreprise en organisation apprenante ;
– Améliorer l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée ;
– Apprendre à gérer le changement et les transformations culturelles.
Pourtant si la fonction Ressources Humaines est désormais investie d’une mission essentielle au succès des entreprises, si cette mission est ambitieuse également parce qu’elle crée une exigence plus grande pour ceux qui en ont la charge, si cette évolution tant attendue de la fonction introduit une véritable rupture au moins dans les objectifs qu’on lui assigne, alors deux questions iconoclastes mais néanmoins importantes semblent devoir être soulevées :
– Les modes d’organisation et de fonctionnement mis en œuvre dans une logique de recherche d’économies durant ces vingt dernières années, executés en partie par la fonction Ressources Humaines, ne sont-ils pas ceux-là même qui l’empêcheront d’atteindre cet objectif de transformation culturelle profonde ?
– La dimension stratégique du capital humain apparaît au grand jour mais la fonction Ressources Humaines a-t-elle pour autant un réel rôle à jouer ? devient-elle plus stratégique pour autant ?
Le premier doute ne fera pas l’objet d’un développement tant il touche un domaine qui dépasse celui qui nous intéresse ici. En effet, il s’agit finalement de s’interroger sur la possibilité de voir co-exister, d’un côté des modes de fonctionnement reposant sur une utilisation rationnelle de toutes les ressources, humaines en particulier, et de l’autre, les conditions prédisposant une organisation humaine à produire de l’innovation dans le sens de l’intérêt commun. En provoquant de façon caricaturale, peut-on raisonnablement croire que ceux à qui la servilité a pu être imposée comme mode de relation pendant des années vont se transformer, simplement parce que le business l’exige, en «intrapreneurs» motivés et engagés sans accepter un changement profond et tangible des modes d’exercice du pouvoir ? S’il y a crise de confiance entre le salarié et les dirigeants d’entreprises, si la valeur reconnue au travail tend à s’éroder dans l’ensemble de la population, avant de fustiger la domination sauvage de marchés financiers devenus incontrôlables et responsables de tous nos maux, il semblerait intéressant de revisiter d’abord certaines de nos propres pratiques. Et là, l’observation de la vie de l’entreprise nous le rappelle chaque jour : elles sont malheureusement plus archaïques qu’on le croît.
Une ambition sous contraintes
La seconde interrogation porte quant à elle franchement sur la fonction Ressources Humaines elle-même, en l’occurrence l’avenir que l’on peut tenter de lui dessiner, les moyens dont elle peut espérer disposer pour conduire son « destin ». En effet, la fonction est-elle capable de se transformer ? Est-elle capable de monter en gamme ? En a-t-elle les moyens concrets ? Quelles modalités opératoires doit-elle privilégier ? Quel plan de route peut-elle se donner ?
En réalité, l’observation de la pratique montre que le champ de contraintes dans lequel la fonction ressources humaines s’exprime n’a pas véritablement évolué depuis dix ans. Et cela quand bien même l’objectif qu’on lui assigne soit plus ambitieux qu’auparavant. Depuis la fin des années 90, nous avons été nombreux – chercheurs, consultants, praticiens et autres spectateurs engagés dans la sphère ressources humaines – à caricaturer cette équation par l’expression «faire plus avec moins», bien conscients d’ailleurs que le «faire mieux» eût été à ce titre un verbe que l’âpreté du chiffre nous aurait rapidement interdit. Cette devise sommaire résumait bien le contraste qui existait entre la fin de l’embardée euphorique des années Internet et le début de rigueur imposé par l’après 11 septembre 2001. La fonction ressources humaines est toujours, aujourd’hui, confrontée à cette contrainte d’efficience car il s’agit d’un invariant.
Toutefois, deux types de contraintes supplémentaires doivent être soulignées, car elles conditionnent fortement les chances de réussite d’un (re)positionnement de la fonction : une contrainte de type « technique » et une contrainte d’ordre culturel.
La contrainte qualifiée de technique s’inscrit comme conséquence logique des investissements qui ont été réalisés depuis une petite dizaine d’années par de nombreuses entreprises pour améliorer la performance économique de la fonction. En effet, les résultats obtenus n’ayant pas toujours été à la hauteur des promesses, notamment en matière de grands systèmes d’information ressources humaines, les états-majors des entreprises ont été conduits à une plus grande prudence face aux investissements ambitieux et massifs. L’attente en la matière porte désormais sur des actions plus ciblées (lien direct entre l’investissement réalisé et les objectifs fixés) dont le retour sur investissement est mesurable et tangible (développement de l’utilisation d’indicateurs ad-hoc) et dans des délais plus courts (inférieurs à 3 ans). Cette attitude se traduit d’ailleurs par une demande forte en matière d’outils informatiques de reporting et de systèmes décisionnels. En d’autres termes, la fonction ressources humaines est aujourd’hui plus que jamais attendue sur sa capacité à délivrer des résultats tangibles.
La seconde contrainte, beaucoup plus subjective, s’articule autour des trois points suivants :
– une culture de l’exercice du pouvoir, encore manifestement très verticale (au moins en France), et qui constitue un frein dans la perspective des défis que la fonction Ressources Humaines doit relever. Cette verticalité, déclinée sous la forme de système d’objectifs en cascade, s’accommode de toute évidence très mal du malaise du management intermédiaire, supposé joué un rôle de courroie de transmission, et des doutes qui ne manquent pas de tarauder les dirigeants eux-mêmes ;
– un corps social qui, s’émancipant et prenant du recul, n’est plus si facilement crédule face aux discours vides de sens et aux promesses de lendemain meilleur. L’encadrement intermédiaire devient même parfois un frein actif ce qui pose toute la question de la crédibilité du management dans son ensemble et ne fait qu’accentuer ce que l’on peut appeler la «fracture managériale» ;
– la culture même des protagonistes de la fonction ressources humaines encore trop empreinte de concepts et théories là où dirigeants, managers et collaborateurs appellent à l’unisson un sens du concret et du terrain plus affirmé.
Enfin, pour prendre conscience de l’importance de la tâche, après avoir mesuré que l’objectif assigné à la fonction ressources humaines est des plus ambitieux et que le parcours qui l’attend est jalonné d’un ensemble de contraintes lourdes, il nous reste à regarder d’où l’on part. Or, sans s’étendre lourdement sur le sujet, ce point de départ, même dans les entreprises réputées comme performantes en la matière, reste encore relativement éloigné de l’objectif. De nombreuses études montre en effet que même les activités à faible valeur ajoutée (gestion de la paie par exemple) restent encore dominées par des tâches répétitives, chronophages et sans valeur (saisie, contrôle de saisie par exemple).
Quelle logique mettre en place?
Lors du congrès mondial de mai 2000 organisé à Paris par l’ex-ANDCP devenu ANDRH, Dave Ulrich avait offert une intervention dynamique, galvanisante et fort remarquée. La portée de son discours (qui n’a pas changé depuis à en croire la devise mise en évidence sur son site Internet : «HR must give value or give notice») résidait dans l’affirmation que les directions des Ressources Humaines doivent se concentrer sur les résultats. L’expression «To deliver», en véhiculant une notion de résultats et de service que le français traduit imparfaitement, revenait comme leit-motiv d’une intervention résolument tournée vers la recherche de la simplicité, voire de la simplification, au nom de l’efficacité. Dave Ulrich présentait alors les rôles clés de la direction des Ressources Humaines sous la forme d’une matrice dont le quadrant Nord-Ouest a peut-être trouvé plus de grâce à nos yeux que les autres. Une matrice pour boussole et une expression pour devise «Business Partner», trop souvent abusivement comprise par la profession comme «partenaire stratégique». La feuille de route d’alors, visant à devenir ce fameux «Business Partner», pouvait se présenter sous la forme d’une pyramide dont la base représentant les activités non créatrices de valeur (gestion administrative du personnel) devait se réduire progressivement au profit des tâches les plus nobles de la fonction, c’est-à-dire la gestion des processus dits « stratégiques ».
Dans la pratique de ces dernières années, nous avons pu observer de la part de nombreuses directions des ressources humaines une réelle volonté d’optimiser l’activité administrative de la fonction. Cette volonté s’est traduite par trois grandes orientations : des investissements importants dans un outil informatique moderne, la mutualisation de ressources par le biais de CSP et enfin l’externalisation – partielle ou totale – de certains pans entiers de la fonction, paie en premier lieu. Dans cette perspective, certaines entreprises, à l’image du groupe Rhodia par exemple, se sont même inscrites dans une démarche d’externalisation non seulement large (c’est-à-dire au delà de la paie) mais aussi durable et ce, avec la volonté clairement affichée de réallouer les efforts des équipes sur un rôle à plus forte valeur ajoutée : «nos équipes RH vont ainsi pouvoir se concentrer sur leurs missions clés, telles que la conduite du changement, le développement des compétences et l’évolution des carrières, les relations sociales, et accompagner la croissance de nos activités.» (source).
Ce mouvement engagé depuis quelques années doit résolument se poursuivre car les directions des Ressources Humaines doivent plus que jamais passer du stade de la posture de «Business Partner» à celui d’une réalité opérationnelle créatrice de valeur « lisible » à défaut d’être « visible ».
En 2003, le SHRM , l’université du Michigan et Global Consulting Alliance identifiaient cinq domaines dans lesquels les professionnels des Ressources Humaines devaient développer des compétences-clés pour atteindre cet objectif c’est-à-dire pour que leur fonction puisse prétendre avoir un impact réel sur la performance financière de leur organisation : la contribution à la stratégie de l’entreprise, la connaissance du business, la crédibilité personnelle, la capacité à délivrer et la maîtrise de la technologie.
Si un programme devait être aujourd’hui dessiné, il reprendrait certainement l’essentiel de cette proposition formulée il y a maintenant près de quatre ans, mais à la condition d’inverser l’ordre des étapes. Une inversion que nous pourrions re-formuler ainsi : maîtriser la technologie pour améliorer la capacité de la direction des ressources humaines à délivrer des résultats tangibles ce qui ne manquera pas d’asseoir sa crédibilité, et qui, combiné à une implication réelle dans les objectifs de business, lui permettrait de contribuer de façon effective à la stratégie de son entreprise.
Dans cette feuille de route ainsi tracée, trois étapes successives, nous semblent devoir être respectées :
– La première d’entre elles, déjà engagée nous l’avons vu, est un passage obligé. Elle consiste à gagner une véritable légitimité d’intervention, à asseoir une crédibilité interne indiscutable, ce qui suppose une fonction Ressources Humaines absolument irréprochable sur ce que la plupart de ses clients considère parfois encore – à tort – comme la base de la fonction (à défaut d’en être le cœur) : les activités de support et administratives. Sur ce plan, l’efficience (le rapport qualité – coûts – délais) de la fonction doit être irréprochable, chaque action doit tendre à produire des résultats visibles, tangibles et rapides.
– La deuxième étape consiste à redécouvrir le client c’est-à-dire à s’intéresser aux clients de la fonction ressources humaines. Elle consiste à développer ce que l’on pourrait appeler un marketing Ressources Humaines au sens propre du terme : une attention renouvelée portée au client – managers et collaborateurs – ainsi qu’à leurs besoins pour y répondre de façon ciblée et appropriée. Ceci conduira inévitablement à une plus grande personnalisation des réponses ou au moins à segmenter la politique ressources humaines selon les besoins des clients qu’elle sert (notamment sur le plan de la gestion du couple contribution / rétribution).
– La troisième étape consiste enfin à s’attaquer à cette transformation culturelle dont la direction ressources humaines peut être l’un des catalyseurs et des supports : un parcours vers une organisation plus apprenante, plus innovante, plus souple et donc capable de résister et de croître.
Les modalités qui permettront d’assurer le succès de la première étape sont pour l’essentiel d’ores et déjà connues. Celles qui contribuent à améliorer le projet économique de la fonction résident dans les quatre axes suivants : industrialisation, externalisation, mutualisation et pourquoi pas délocalisation.
Viennent ensuite les modalités qui permettent de rapprocher les résultats obtenus des objectifs fixés à la fonction Ressources Humaines. L’enjeu de crédibilité, de ce point de vue, réside plus sur les gages qui seront donnés à la direction générale en termes de suivi et de mesure de l’efficience des actions engagées que sur leurs résultats obtenus en tant que tels. Aucun dirigeant n’est en effet assez naïf pour croire que la matière humaine se façonne à volonté à l’aide de méthodes quasi scientifiques et aux résultats prévisibles, mais aucun dirigeant n’est assez naïf non plus pour investir à fond perdu sans disposer au moins de quelques indicateurs lui confirmant que les orientations prises vont dans le bon sens ! Pour ce faire, le développement des méthodes de type Balanced Scorecard associées à des indicateurs ad-hoc, établis à l’aide d’une informatique décisionnelle plus mûre, constitue une direction qu’il convient de poursuivre.
Pour ce qui concerne la seconde étape, le chantier est naturellement plus délicat. Il suppose au minimum de développer une connaissance approfondie, voire intime, des populations clientes de la direction des ressources humaines : direction générale bien sûr, mais aussi collaborateurs et managers. Lors d’une récente intervention à Bruxelles, Michel Crozier réintroduisait l’écoute, celle qui «s’intéresse passionnément» à l’autre comme un enjeu clé dans nos entreprises aujourd’hui. C’est aussi un enjeu pour les directions des ressources humaines car, pour être utile, cette connaissance doit être totalement honnête. En d’autres termes, elle doit tenir compte de la façon dont les salariés perçoivent les choses, ce qui est subjectif par définition, quand bien même cela doit-il esquisser une vérité bien éloignée de l’image que le management se fait de la réalité. Un second axe de travail, au-delà d’une écoute active, consiste à concevoir les programmes ressources humaines et les processus qui les supportent en fonction de la valeur ajoutée qu’ils procurent à ceux à qui ils sont destinés avant de les penser selon l’intérêt de la direction des ressources humaines. A observer la collection de processus qui abreuve l’encadrement de proximité, il n’est pas difficile de remarquer qu’ils n’ont pas tous été conçus selon ce principe directeur. Le désormais célèbre «Tous DRH» prendra corps à cette condition, qui consiste en définitive à mettre à disposition du management les moyens lui permettant de devenir le premier acteur de la gestion des Ressources Humaines, et cela à l’aide de concepts, méthodes et outils lui apportant une valeur réelle dans l’exercice de son métier.
Enfin, pour ce qui concerne la dernière étape, il n’y a bien sûr aucune pierre philosophale, chacun le sait. Les tentatives de réponses théoriques sont incertaines et l’observation du terrain montre une infinité d’orientations particulières impossibles à modéliser. Toutefois, il nous semble illusoire de tenter de s’engager dans cette voie sans accepter de questionner en profondeur notre rapport au pouvoir car il n’y a pas, selon nous, d’organisation flexible, capable de devenir un vivier d’innovations sources de profits renouvelés, sans accorder de réelles marges de liberté et de confiance aux collaborateurs. Or, questionner les modes d’exercice du pouvoir n’est pas une question de concept, de méthode, d’organisation ou de processus, mais bien une question de courage.
Agir d’abord!
Une fois de plus l’évolution du monde des affaires ouvre une porte à la fonction Ressources Humaines. Une fois de plus, chacun voit dans l’environnement immédiat de l’entreprise un prétexte pour affirmer le caractère éminemment stratégique de la fonction. Une fois de plus, la réalité de l’importance de la fonction Ressources Humaines dans les années à venir ne dépendra pas du souhait clamé par les praticiens de jouer un rôle stratégique mais bien du regard que leurs interlocuteurs, directions générales en tête, porteront sur leurs résultats.
Pour cela, nous pensons que la fonction ressources humaines doit se préparer à un voyage dont le point de départ consiste bien à être irréprochable sur le terrain sur lequel elle est encore attendue. C’est une question de crédibilité. Elle y gagnera peut-être des ressources à réinvestir sur l’essentiel et un droit à une parole plus libre, susceptible d’aiguillonner un système managérial qui a besoin d’électrochocs pour ouvrir le champ de ses possibles. Que cela plaise ou non, ce préalable conduit inéluctablement à des décisions difficiles. Parions qu’ensuite la direction des ressources humaines deviendra la direction des richesses humaines c’est-à-dire non pas celle qui veille à ce que la ressource soit bien exploitée mais celle qui s’assure que la source ne se tarit pas.