La crise de foi

Le DRH garant de l’équité

Parce que les années à venir exigent un engagement collectif sans faille, les DRH devront se poser comme garants de l’équité et jouer un rôle crucial, fait de pédagogie et de conviction, pour remobiliser le corps social dans son ensemble.
Cet article a été initialement publié dans la revue RH&M (N°38 – Juillet 2010 – Pages 24 & 25) et dans RH info le 24/11/2010. Téléchargez l’original RH&M (Pdf – 987 Ko)

La crise soulève de nombreuses questions : dépendance de nos économies à une finance de marché qui dicte sa loi au politique, nécessité d’une gouvernance économique réelle en Europe, régulations financières etc. Elle challenge également les modes de gouvernance des entreprises et la généralisation d’un mode de fonctionnement actionnarial dans lequel la conduite des affaires se résume parfois au seul exercice du droit de propriété, au risque de mettre en péril ce qui en fait le véritable moteur c’est-à-dire la capacité à entreprendre et l’innovation. Entre les inquiétudes que soulève l’hyper-financiarisation d’un capitalisme qui nous échapperait et l’hypothèse de l’émergence d’un capitalisme raisonné, plus durable et plus équilibré, il semble difficile de dégager des options immédiates, utiles à l’action pour l’entreprise, sans que l’émotion et l’arbitraire n’en soient les guides. Toutefois, certaines réalités se dégagent désormais suffisamment pour s’intéresser à leurs conséquences.

La facture et la fracture …

Face aux difficultés à venir, la mobilisation collective est plus que jamais nécessaire

La crise a brutalement fait prendre conscience des déséquilibres économiques massifs qui se sont établis dans le monde depuis une dizaine d’années au profit des pays émergents. Un nouveau rapport de force s’est établi et nos pays Européens, riches et vieillissants, sont condamnés à produire les efforts qu’ils ont toujours repoussés ainsi qu’à reconstruire leur compétitivité. Pour nos entreprises, ceci signifie que les efforts de rigueur et les mesures difficiles, avec leur cortège de souffrance sociale, sont très loin d’être terminés et qu’un engagement collectif sans faille est plus que jamais crucial.

A un moment où l’engagement des salariés est jugé faible

Or, cet engagement des salariés fait cruellement défaut et devient l’une des préoccupations majeures auxquelles les DRH cherchent des réponses. Depuis longtemps François Dupuy1 soulignait déjà la démotivation du middle management voire des cadres supérieurs. Les sondages d’aujourd’hui se suivent et nous indiquent les mêmes tendances : effritement de l’image des entreprises et discrédit grandissant des dirigeants. Maurice Lévy le rappelait il y a peu : “les chefs d’entreprise ne sont pas bien considérés, ils constituent souvent une cible et en sont parfois en partie responsables.2 La tendance est claire, le risque aussi.

Tout l’enjeu est là. D’un côté, une situation économique qui impose aux entreprises des ajustements cruels – mais inévitables – que l’on ne supportera sans conflit qu’à la condition d’un engagement solidaire de tous. De l’autre, un corps social désengagé.

Trois enjeux à relever pour reconstruire la confiance

Si l’agitation de la peur peut contribuer à faire accepter l’urgence des efforts à venir, elle ne suffira pas et pourrait même s’avérer contre-productive. Trois conditions sont requises : compréhension, envie et équité. En effet, pour qu’un individu produise des efforts qu’il juge douloureux et qu’il s’inscrive résolument au service d’une exigence collective, il doit :

  • comprendre intimement les raisons pour lesquelles il doit les produire ;
  • avoir un but motivant, c’est-à-dire une perspective de sortie positive ;
  • être convaincu que l’effort est solidaire, c’est-à-dire qu’il est réparti de façon équitable.

Un défaut de compréhension

Il y a 40 ans, Jean Fourastié, affirmait3 la nécessité d’une démocratisation de la culture économique : “faute de comprendre, l’homme agit à contretemps, et souffre du désaccord qui existe objectivement entre les réalités et les images qu’il s’en fait : une connaissance aussi efficace que possible des phénomènes économiques est donc à la fois une condition de la paix sociale et de l’équilibre psychique de l’être humain considéré individuellement.” Le déficit de compréhension du contexte économique et de ses conséquences sur la vie des entreprises est un facteur de risque. Or, ce déficit a vraisemblablement été accentué par les choix d’organisation et de méthodes managériales que les entreprises ont fait pour optimiser leur productivité. En effet, les salariés ont parfois bien des difficultés à établir un lien entre leur activité immédiate et la finalité à laquelle ils contribuent. Et pourtant, dans chaque entreprise, il y a bien une cohérence entre le contexte, la stratégie que l’on décide pour y répondre et les choix d’organisation pour mettre en œuvre cette dernière. A croire que les laconiques bullet points de nos Powerpoints ont plus asséné le comment qu’ils n’ont enseigné le pourquoi!

Un manque de perspective

Quant à la perspective positive, crédible et réaliste, les manifestations Grecques de 2010 nous livrent un enseignement clair. Makis Kavouriaris, ancien professeur, retraité et manifestant à Athènes en mai, le résumait en rappelant que “les gens sont prêts à faire des sacrifices, mais à condition qu’ils aient des perspectives4. Cette question du sens est la même dans nos entreprises, ce qui constitue l’une des préoccupations des DRH. Ne pas comprendre le sens des efforts que l’on doit produire est un facteur de désespoir peut-être plus profond encore que la perspective des efforts eux-mêmes. Sur ce plan, les entreprises restent encore des lieux où les incohérences, les paradoxes et les contradictions du management au quotidien, détruisent le sens qu’elles essayent d’imposer par ailleurs.

Un sentiment d’injustice

Le sentiment d’équité repose à la fois sur le fait que l’on juge la température conforme à l’idée que l’on se fait de la justice mais aussi sur la confiance que l’on place en celui qui manipule le thermomètre. Or, la réalité des faits est complexe à démêler. En France, par exemple, l’éventail des salaires a peu évolué entre 1960 et 20045: les 1er et 9ème déciles des salaires nets annuels ont été respectivement multipliés par 2,8 et par 2,1. En revanche, l’écart entre ceux qui sont au-delà du 9ème décile et les autres a crû de façon très importante en faveur des premiers. Et pourtant, si complexe soit-elle, la réalité des chiffres est aussi parfois criante, ce qui n’échappe que très rarement à la lucidité du corps social : en 1970, le salaire moyen d’un CEO aux Etats-Unis représentait en moyenne 28 fois celui d’un salarié contre 465 fois en 20056. Si l’on ajoute à cela l’image déplorable que nous livrent les dérives d’une minorité, cela conduit Thierry Pech à affirmer7 que “ce qui se brise, c’est l’idée d’appartenir au même monde“. Qu’il s’agisse d’une vérité ou non, c’est ce que certains collaborateurs finissent par penser, convaincus ou résignés, et ce qui développe un sentiment d’injustice donc un désengagement. En la matière, il ne faut jamais sous-estimer la valeur des symboles.

Le rôle vital des DRH

Reconstruire des ponts avec l’ensemble du corps social …

La fonction RH a là bien plus qu’une carte à jouer, c’est le cœur de sa mission. Elle devra poursuivre le mouvement de rationalisation de sa productivité pour contribuer à l’effort de guerre, ne serait-ce que pour donner l’exemple et asseoir sa légitimité. Elle devra aussi exercer pleinement sa mission opérationnelle et apporter son expertise sociale et juridique dans les ajustements qu’il faudra faire. Mais l’essentiel sera sa capacité à garantir l’équité évoquée précédemment et sa capacité de médiation et de pédagogie pour aider à comprendre, intégrer et accepter, c’est-à-dire reconstruire des ponts avec l’ensemble du corps social, ponts dont l’absence pourraient conduire à des conflits incontrôlables.

… demande des qualités de conviction, de pédagogie et d’exemplarité

Ces deux missions font appel à des compétences classiques, ne serait-ce que sur le plan des politiques de rémunération et de leur mise en œuvre. Mais elles exigent aussi beaucoup plus car reconstruire ces ponts nécessitera la capacité à retrouver la rondeur du verbe, mais un verbe sincère, celui qui porte et donne sens à l’action et non pas celui qui infantilise, manipule ou dissimule. L’avenir appelle des qualités de charisme et de conviction pour porter le sens, des qualités de sincérité et de pédagogie pour en expliquer la déclinaison opérationnelle et enfin un sens irréprochable de l’équité et de l’exemplarité pour recréer les conditions de la confiance. L’avenir a besoin “d’évangélisation”. L’avenir passe par les DRH.


[1] François Dupuy – “La fatigue des élites” – Les éditions du Seuil[2] Maurice Lévy, président de Publicis, nouveau président de l’AFEP – Les Echos – 18/03/10[3] Jean Fourastié – “Pourquoi nous travaillons” – Que sais-je ? – Presses Universitaires de France – 1959 – p. 6[4] “Inquiétude, amertume et fureur” en Grèce face au “manque de perspectives” – Le Monde – 12 mai 2010[5] Source : Insee, Dads[6] Source : Kevin Murphy, University of Southern California[7] Thierry Pech – Alternatives Economiques – N°291 – Mai 2010 – p. 51