Management et distance
Quelques pistes de réflexion
Compte-rendu de la conférence donnée par Patrick Storhaye à l’Anvie le 22 mars 2011 sur le thème « Comment faire évoluer l’organisation et le management pour un télétravail efficient ? »
La distance n’est pas une raison pour faire plus de management… mais c’est une raison de plus pour en faire.
Deux anecdotes
Le syndrome de la chaise vide
Dans certaines entreprises, les dirigeants ont coutume de montrer qu’ils sont présents au travail très tôt le matin, et très tard le soir. Ce comportement impacte directement l’ambiance au sein des équipes : certains collaborateurs peuvent en effet être enclins à « masquer » leur absence… en laissant une veste sur le dossier de leur chaise pour faire croire qu’ils sont encore au bureau tard le soir !
Management et télétravail
Il s’agit du cas d’une personne embauchée à mi-temps par une startup. Cette personne effectuait ce mi-temps en télétravail à domicile – elle effectuait un autre mi-temps pour un autre employeur. Pendant les six premiers mois, cette personne a toujours livré dans les temps la production qui lui était assignée, sans jamais se plaindre. Mais après cette première période de six mois, elle a contacté en catastrophe ses employeurs après s’est rendu compte que les engagements qu’elle avait pris en termes de production étaient trop lourds. Dans la mesure où son employeur était une startup, elle avait très peur que l’ensemble du corps social la considère comme un tire-au-flanc, incapable d’assurer la diffusion des livrables, même en travaillant énormément. De fait, elle a « compensé » en travaillant la nuit. Ce fait a été une véritable révélation pour les dirigeants de la startup, qui ont alors choisi de professionnaliser le mode de management.
Quels enseignements ?
Il semble que la distance, a fortiori comme elle se cumule au travail à domicile, est un révélateur de l’incapacité notoire des entreprises à manager correctement – faiblesses managériales par ailleurs chroniques, qui mettent fondamentalement en jeu leur culture d’exercice du pouvoir.
De nombreux préjugés
La sophistication des pratiques managériales atteint un tel point que les règles de management les plus basiques sont oubliées. Par ailleurs, la façon dont le management est pratiqué est assortie de très nombreux préjugés. Notamment, les managers sont nombreux à considérer qu’ils doivent pouvoir surveiller de visu leurs équipes si l’on veut qu’elles travaillent – en d’autres termes, les managers pensent que l’absence de contrôle conduit forcément les individus à privilégier leurs intérêts individuels. Ces craintes des managers sont renforcées lorsque les collaborateurs travaillent à leur domicile.
Les télétravailleurs ne sont pas en reste : beaucoup craignent que leur travail, leurs efforts, ne seront pas reconnus par des managers qui sont à distance.
On voit là qu’inconsciemment, les individus sont convaincus que « l’autre » poursuit toujours son intérêt personnel au détriment du sien, voire au détriment de l’intérêt collectif. Si les collaborateurs sont beaucoup plus responsables qu’on ne le croit, leurs employeurs ne leur font pas toujours confiance. Cela n’a rien d’étonnant, compte tenu des préjugés évoqués ci-dessus.
En tout état de cause, l’enjeu est simple : il faut faire en sorte que le manager ait confiance dans ses collaborateurs en situation de télétravail et soit conscient que ceux-ci s’investissent au nom d’un projet commun, et non pas au nom de leu seul intérêt individuel. De la même manière, il faut que le télétravailleur ait confiance dans la capacité du système à reconnaître son investissement personnel en faveur de l’intérêt général.
L’existence d’un climat de confiance : une condition indispensable à un télétravail réussi
La question de la distance impose de comprendre qu’il n’y a pas de relation professionnelle saine sans confiance mutuelle. Or il n’est pas certain que la confiance soit un sentiment naturel dans l’entreprise, où l’ensemble des pratiques managériales à l’oeuvre depuis 50 ans conduisent à fabriquer du mercenariat, de l’individualisation… et ne favorisent pas nécessairement la coopération et la confiance. Dans un projet de télétravail donc, il faut que chacun comprenne ce rapport entre relation professionnelle saine et confiance mutuelle. Ce constat questionne directement la conception que l’on se fait de la délégation de responsabilités, donc du partage de pouvoir – les managers doivent ainsi être en mesure de ne pas perdre leurs prérogatives de direction tout en confiant à un tiers un peu de son pouvoir.
Construire la relation professionnelle sur la confiance exige de questionner en profondeur la manière dont on conçoit l’autonomie donc, partant, le contrôle. Or les organisations sont très silotées et très processées, ce qui est déresponsabilisant.
Il faut aussi s’interroger sur la perte du sens de l’intérêt général, ce dernier étant la seule garantie naturelle de la confiance. En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de confiance mutuelle – et encore moins de confiance collective – si les individus ne sont pas en capacité de s’inscrire dans un projet collectif. De toute évidence, ce sens de l’intérêt général n’est pas partagé, tant au niveau de la société toute entière que de l’entreprise.
Autre condition essentielle : la formalisation. En effet, il n’y a pas de confiance sans contrat, ce dernier ne pouvant exister sans être formalisé. En effet, si l’évaluation est essentielle, elle ne doit pas être vécue comme « le fait du Prince ». Confiance et contrôle ne sont pas des notions antinomiques : il est donc essentiel de vérifier que les règles soient respectées, via du contrôle et du suivi. Loin de constituer une forme de flicage, le contrôle permet de répondre aux collaborateurs qui, du fait de leur distance avec le management, craignent de ne pas être reconnus. Le contrôle, la mesure, le suivi régulier permettent cette reconnaissance. A noter par ailleurs qu’un télétravailleur doit avoir la capacité de prévenir en amont son manager des difficultés qu’il est susceptible de rencontrer. En aucun cas, le manager doit être mis devant un fait accompli.
Quel code de bonne conduite ?
La distance impose un suivi professionnel qui, d’ailleurs, est souvent incorrectement réalisé lorsqu’une entreprise ne compte que des salariés sédentaires. La mise en place du télétravail constitue donc une extraordinaire occasion pour améliorer, voire développer les pratiques managériales. L’autonomie, tout particulièrement en cas de télétravail à domicile, impose une rigueur de comportement beaucoup plus importante parmi les collaborateurs. Cela permet notamment d’envoyer au management un signe très clair quant au maintien de son engagement, malgré la distance.
Conclusion
La distance n’est pas une raison pour faire plus de management… mais c’est une raison de plus pour en faire. Le télétravail constitue ainsi une extraordinaire occasion pour professionnaliser le management dans les entreprises et trouver de nouveaux leviers de performance en mettant autrement à contribution les hommes et les femmes qui les composent.
Deux questions principales sous-tendent celles de la confiance :
- Les pratiques managériales actuelles constituent-elles un terreau favorable à la confiance ?
- La notion de confiance n’interroge-t-elle pas directement celle de l’intérêt général, qui, dans les grandes entreprises, semble souvent dilué ?