Extrait de l’ouvrage “Le plaisir d’entreprendre” de Patrick Storhaye, EMS 2012
“Il faut avoir l’avenir dans l’esprit et le passé dans les archives” Talleyrand
En effet, obliger le management opérationnel à établir des prévisions à un horizon où il ne peut raisonnablement pas prévoir grand chose en termes de résultats ouvre implicitement la voie aux contournements voire aux tricheries.
Pour satisfaire ce que l’on attend de lui, il formulera les hypothèses qui l’arrangent en veillant simplement à ce que celles qui l’engagent à court terme soient le plus réalistes possible. Cet effet « demain, on rase gratis » est la négation même de l’anticipation et la source de grandes désillusions. L’entreprise prend alors le risque que le reporting, les « sales budget » et autres plans d’action ne soient plus sincères et confinent à la mascarade, chacun affirmant et entendant ce que le niveau du dessus attend, indépendamment des exigences de la réalité. Le système « fabrique » alors de l’erreur et s’auto-justifie.
En un mot, les méthodes de prévisions, pour utiles qu’elles soient, n’affranchissent nullement de l’intelligence de l’adaptation et du courage de la décision face à l’imprévu. Or, les managers opérationnels sont finalement très peu préparés à cela. Pour contribuer à y remédier, il faudrait encourager le management à formuler des scénarios alternatifs.
Au lieu de gestionnaires d’abord soucieux de la conformité des indicateurs, il faut des managers capables de discerner ce qui est essentiel dans le bruit et la furie générale, pour ensuite dessiner des combinatoires qui tendent toutes vers la finalité qui leur a été donnée, mais dont l’agencement et l’organisation reposent sur l’intelligence de leur choix. Le manager doit en quelque sorte devenir un mobilisateur de créativité et d’analyse pour que son équipe puisse imaginer différents scénarios pour l’avenir : il n’y a pas une route avec des points de passage obligatoires, fixés à l’avance et inamovibles mais il y en a plusieurs, chacune d’entre elles dépendant d’hypothèses qui s’affinent au fil du temps et qu’il convient d’emprunter ou non, en fonction de la manière dont la réalité s’affirme, quitte à changer de braquet. Ainsi munis d’une boussole et d’une carte topographique, les managers seront plus à même d’obtenir de bons résultats, d’obtenir le meilleur de leurs équipes, et in fine, les prévisions n’en ressortiront que plus réalistes.
Dans cette optique, la méthode des scénarios qui « vise à construire des représentations des futurs possibles, ainsi que les cheminements qui y conduisent » (Michel Godet) souvent réservée dans la pratique à la direction de l’entreprise doit pouvoir trouver une forme de déclinaison simplifiée, une sorte de démocratisation de la prospective, pour faire partie de la panoplie du manager.