Extrait de l’ouvrage “Le plaisir d’entreprendre” de Patrick Storhaye, EMS 2012

En période de transition difficile, le retour à la morale est souvent une tentation forte chez ceux qui pensent que les dérives du « système » sont des signes précurseurs de sa décadence. Morale, éthique et déontologie, sans distinction d’ailleurs, reviennent alors fréquemment dans les discours comme pour conjurer le sort.

Ce que nous visons ici ne relève pas de l’ordre moral et ne se réfère pas non plus à une quelconque dimension théologique du bien commun. Certes, la dimension morale peut à l’évidence guider le projet d’entreprise et s’inscrire dans sa responsabilité sociale. En revanche, ce que nous visons ici relève de ce que l’on peut appeler l’éthique du bien commun.

Considérer le projet d’entreprise comme un bien commun vise à réaligner les intérêts de l’individu et de l’entreprise.

Cette lecture de la satisfaction des intérêts particuliers par la réussite du projet collectif s’inscrit dans la tradition dominicaine de la conception du bien commun pour laquelle « c’est en lui que se résout la possible antinomie personne-communauté » (référence). En d’autres termes, l’individu a besoin du succès de l’entreprise comme l’entreprise a besoin, pour son propre succès, de chaque individu. Aussi, la confiance entre l’individu et ceux qui incarnent l’organisation passe certainement plus par ce qui relève du  « juste » que par le « bien » en tant que résultat, même si ces deux notions sont intimement liées et complémentaires (référence).

Le bien, en tant qu’il indique la finalité, relèverait dans le cas présent de la pertinence du projet d’entreprise et de son caractère acceptable aux yeux des collaborateurs, ce qu’il ne s’agit pas de questionner ici. En revanche, une fois celui-ci déterminé, c’est-à-dire une fois le projet dessiné, il devient un bien commun au sens où il transcende les intérêts particuliers. Managers et décideurs doivent alors démontrer au quotidien que chacune de leurs décisions est « juste ».

Ainsi, si l’on veut bien admettre l’idée selon laquelle l’existence d’un bien commun est essentielle à tout édifice social (référence) et que tout « principe de responsabilité » au regard de ce bien commun s’inscrit dans une dimension prospective (référence), alors un décideur, quel que soit son rang, doit inscrire son action et ses arbitrages dans la perspective de ce qui est bien ou mauvais pour le projet d’entreprise dans la durée. Une capacité d’arbitrage permanent entre le respect du but partagé et les affres de la réalité concrète, en ne sacrifiant pas l’avenir.

« L’intérêt des actionnaires, celui des consommateurs, celui des pouvoirs publics, celui des salariés bien sûr etc. Les critères à partir desquels j’arbitre doivent répondre à une seule question : l’intérêt de Danone à long terme est-il accompli » Franck Riboud ancien PDG de Danone (source)

Cette disposition d’un manager ne relève aucunement d’une quelconque gentillesse, ni d’un quelconque angélisme, puisque c’est, en théorie, tout bonnement ce pour quoi ils sont payés.

Dans la pratique, n’avons-nous jamais vu un responsable décaler une affaire pour maximiser ses gains d’une année à l’autre et « mettre des noisettes » à l’abri pour l’hiver ? N’avons-nous jamais vu un décideur préférer voir une situation s’envenimer pour mieux apparaître comme en étant le sauveur ? Ou un manager mettre des bâtons dans les roues d’un projet dont il n’est pas à l’origine ou qui risquerait de faire briller celui qu’il estime comme son rival?

Ces comportements individualistes qui privilégient quasi systématiquement l’intérêt particulier de court terme sont une plaie pour l’entreprise, et cela commence évidemment en haut et très tôt. En haut, c’est une affaire d’exemplarité. Très tôt, c’est dès l’école.

Lors d’une intervention dans une conférence (source), François Humblot, alors président du Syntec Etudes & Conseil, et par ailleurs chasseur de têtes expérimenté, disait s’intéresser réellement aux activités extra-professionnelles des personnes, où l’on trouvait parfois des engagements (associatifs etc.) témoins d’un sens de l’intérêt général plus développé et que les entreprises gagneraient vraisemblablement à s’y intéresser plus que ce qu’elles ne le font, tant elles en sont dépourvues. Sans aller jusqu’au « sens de l’intérêt général », dont la dimension morale relève d’abord du projet de l’entreprise dans un cadre de type RSE / développement durable, la capacité d’un manager ou d’un décideur à être le garant de l’intérêt du bien commun, c’est-à-dire du projet dans lequel il s’engage et pour lequel il est payé, est une qualité individuelle sous-estimée dans les entreprises et pourtant essentielle.

« Toute figure exemplaire est nourricière de confiance » Alain Peyrefitte

Cette éthique du bien commun a toutefois un préalable évident, celui de l’exemplarité. Et c’est de l’exemplarité de ceux qui sont au sommet dont il est d’abord question, selon le bon vieil adage que « les escaliers se balaient par le haut ».