Extrait de l’ouvrage “Le plaisir d’entreprendre” de Patrick Storhaye, EMS 2012

Il convient en effet de commencer par l’intention et ce pour une raison simple : quelle posture raisonnablement convaincante, à défaut d’être rassurante, peut-on en effet adopter face à ce qui s’apparente au chaos, à l’incertitude et à l’imprévu ? Quel modèle de référence inventer quand la réalité des affaires exige souplesse, adaptabilité et vitesse ? Quelle nouvelle doctrine managériale proposer lorsque les modes les ont successivement  toutes balayées depuis cinquante ans ?

Quand on sait effectivement que l’avenir est plus affaire de vision que de prévision, il est nécessaire d’avoir une intention et d’être porté par une envie.

Il convient d’être conscient des difficultés qu’il faudra affronter et d’avoir confiance dans ses capacités à les surmonter, quand bien même l’issue serait-elle incertaine.

Rien ne sert en effet d’attendre un improbable plan stratégique au sens où les collaborateurs l’espèrent souvent, c’est-à-dire une déclinaison claire d’un objectif, une tactique pour l’atteindre et un plan de route assorti. Il faut désormais apprendre à affronter le futur, ce qui relève non pas d’un « plan » mais bien d’une intention et d’une posture. Une sorte de credo, expression des principes sur lesquels l’organisation dans son ensemble fonde ses orientations, ses décisions et ses actions : la voie et les règles !

Tout au plus est-il en effet possible, avec naturellement une infinité de variations selon les secteurs d’activité, de décrire une intention stratégique, c’est-à-dire un cap général, une grande orientation, soutenue par une ambition mais en aucun cas, à l’exception de quelques cas très spécifiques, une sorte de plan quinquennal digne de l’Union Soviétique du siècle précédent.

Croire que planification et prévision sont encore les principes structurants d’une stratégie confine à l’utopie dans bien des secteurs.

Si l’on accepte l’idée que l’exercice de la stratégie consiste à s’approprier en permanence un champ des possibles au regard de contraintes et potentialités internes et externes – elles mêmes incessamment changeantes – alors on peut aisément comprendre que le cadre que l’on peut alors transmettre réside dans :

  • ce qui est pérenne et invariant, c’est-à-dire les critères utilisés pour arbitrer ce champ des possibles,  ce qui relève à la fois de l’orientation générale du projet de l’entreprise (l’intention) et des principes qui président aux décisions (les valeurs) ;
  • ce qui permet de faire face à l’incertitude, en l’occurrence les caractéristiques et principes qui garantissent que ce champ des possibles est « mis à jour » de façon continue face à l’incertitude d’une donne qui change sans cesse, ce qui suppose transparence et renvoie également aux valeurs.

L’intention

L’intention doit non seulement marquer l’ambition de l’entreprise mais aussi constituer une perspective mobilisatrice pour chacun des acteurs.

Elle doit être regardée, donc exprimée, du point de vue des différentes parties prenantes et pas seulement de celui des actionnaires. Elle doit par conséquent tenir compte de la perception des salariés et de l’espoir qu’ils peuvent placer en elle. L’exercice est presque aisé quand les produits ou les services bénéficient d’une composante affective importante (certains produits alimentaires par exemple), d’une dimension symbolique forte, ancienne et largement partagée (certains constructeurs automobiles par exemple) ou d’une image universellement appréciée (certains produits de luxe par exemple). Il est également facilité quand l’entreprise incarne un talent particulier dans ses offres de services comme l’innovation chez Google, le « think different » d’Apple ou l’impertinence d’un Canal Plus à une certaine époque. Il l’est enfin encore plus quand la nature même de la structure ou de l’activité comprend une dimension sociétale clairement identifiée (coopérative, économie solidaire, etc.).

Mais parfois, la prise en compte de l’importance du besoin de spiritualité et d’universalité des salariés peut se heurter à quelques difficultés et ce pour trois grandes raisons :

  • Lorsque l’activité est en elle-même délicate au regard de ces dimensions (l’industrie du tabac ou de l’armement par exemple) ;
  • Lorsque l’activité offre peu de prise au rêve (un fabricant de boulons par exemple) ;
  • Lorsque la taille conduit à ce que la dilution de l’intention soit telle qu’elle ne fait plus aucun sens pour personne.

C’est alors que la dimension « philosophique » du travail est essentielle : l’amour du travail bien fait, l’excellence, le sentiment de participer à une aventure, en un mot, tout ce qui fait qu’une personne peut se réaliser dans l’activité.

On y retrouve la dimension de l’expérience, de l’épopée, ou de l’aventure humaine (ce que l’on retrouve dans une start-up par exemple). On y retrouve aussi, dans certaines entreprises industrielles, la quête de l’excellence liée à l’exercice d’un métier, le design par exemple.

Les valeurs

Enfin, au-delà de « ce que nous voulons », il y a « ce que nous sommes » qui peut constituer une identité tellement forte qu’elle mobilise. On peut en effet aisément comprendre que dans l’incertitude de la tempête il ne reste plus que l’envie et les valeurs comme cadre de référence collectif.

Mais on comprend aussi que dans une grande multinationale industrielle il soit difficile de fédérer des Chinois et des Européens sur une perspective commune tant leurs situations de départ et à venir sont différentes. En revanche, on peut aussi imaginer que ces destins puissent se retrouver par exemple dans l’importance de la nutrition, l’excellence d’une motorisation, la culture du design ou l’innovation permanente.

Dans cette perspective, de nouvelles voies peuvent certainement être ouvertes, explorant des notions aussi variées que celles du plaisir, de l’esthétisme, de l’innovation, de l’impertinence, du goût, de la solidarité, etc.

Ceci n’affranchit en rien des exigences de productivité et de rentabilité mais leur donne une raison d’être car elles rendent alors possible une ambition qui relève d’un autre ordre que celui du seul objectif chiffré à court terme. Bien sûr l’ouvrier chinois cherchera à améliorer ses conditions de travail, bien sûr l’ouvrier des hauts fourneaux pensera d’abord à son pouvoir d’achat et au maintien de son emploi, mais tous ont en eux des valeurs à défendre que l’entreprise peut développer et incarner pour son plus grand bénéfice : le dépassement de soi, l’envie d’entreprendre ou le sens de l’excellence …