Extrait de l’ouvrage “Le plaisir d’entreprendre” de Patrick Storhaye, EMS 2012
Devons-nous nous résoudre à ce que l’entreprise soit définitivement condamnée à n’être plus qu’un lieu de mal-être ou de souffrance ?
Devons-nous nous résoudre à ce que cet espace de « vivre et agir ensemble » soit progressivement et inéluctablement déserté des meilleurs et des plus forts, suffisamment agiles et libres pour exprimer leurs talents ailleurs et autrement, tout en laissant les autres, faibles, fragiles ou empêchés par la force des choses, face à leur mal-être ?
Devons-nous nous résoudre à ce que l’esprit d’entreprise laisse désormais la place à un improbable retour d’une lutte des classes ?
Devons-nous courir le risque de voir l’entreprise devenir tristement un espace de « contre-prendre » qui, à force de voir chacun chercher à maximiser son profit immédiat plutôt qu’à le créer, s’assèche au point qu’il n’y ait plus rien à prendre ?
Non ! J’aime trop entreprendre pour me résigner à ce que l’entreprise n’en soit plus l’un des lieux privilégiés.
J’aime trop l’esprit d’entreprise, si essentiel à l’Homme lorsqu’il peut s’y révéler à lui-même en faisant l’expérience collective du travail ou de l’œuvre, pour me résigner à l’idée qu’il se réduise à celui du contrôle, de la conformité, et de la certitude.
L’entreprise doit redécouvrir la place de l’envie, de la chair et des humeurs, du collectif et du plaisir, de la liberté et de l’audace.
Elle doit bouillonner avant d’être canalisée, au risque de n’en extraire qu’un pâle bouillon, aussi fade que sans avenir. Peut-être même devrait-elle revisiter ce qu’elle estime être certains de ses fondements. Réapprendre par exemple qu’il n’y a pas de créativité sans errance et sans erreur, sans futilité et sans rire, sans échange et sans partage, sans esthétique et sans doute, sans inutilité et sans gratuité… Et qu’il est tout aussi certain qu’il n’y a ni innovation, ni progrès, ni avenir, ni survie sans créativité.