Extrait de l’ouvrage “Le plaisir d’entreprendre” de Patrick Storhaye, EMS 2012

Nous ne reviendrons pas ici sur l’importance du projet d’entreprise, lorsqu’il est sincère et que les actes ne le démentissent pas systématiquement. La déclinaison – renouvelée en fonction des nécessités conjoncturelles – d’une philosophie d’entreprise, puisant dans les valeurs et traduite en principes d’actions, constitue un puissant levier de management. Le projet d’entreprise offre un repère fédérateur, destiné à durer, qui « caractérise l’entreprise et la distingue des autres, dans son apparence et, surtout, dans ses façons de réagir aux situations courantes de la vie » (Maurice Thévenet).

Parce qu’il marque une intention et une ambition dans le respect de valeurs, le projet d’entreprise constitue en quelque sorte, le contrat moral qui scelle l’engagement de toutes les parties prenantes, salariés en tête.

Toutefois, si les projets d’entreprises “insincères” se diluent dans le temps, aussi vite délités qu’ils ont été couchés sur un Intranet ou du papier glacé, les plus honnêtes d’entre eux, et il y en a, s’étiolent également dans la distance. Comme si le brin d’ADN de l’entreprise s’étirait au lieu de se répliquer, jusqu’à s’effilocher au point que l’information génétique qu’il contenait ne soit plus qu’une petite trace irréelle dans la mémoire individuelle.

La pratique montre que les incantations de type « double digit growth » ou « cap croissance 2020 » ne fédèrent pas car elles n’embarquent pas réellement les intérêts de toutes les parties prenantes. La pratique montre également que les projets groupe trop éloignés du quotidien des équipes, quand bien même les embarqueraient-ils, ne rencontrent pas l’écho attendu sans matérialisation et relai local.

Ainsi, à défaut d’avoir un cadre et des repères communs, les managers de terrain sont alors pris entre la loyauté qu’ils doivent à l’entreprise et la nécessité de mobiliser leurs équipes sur un projet fédérateur que celle-ci ne leur offre pas.

Dans cette optique, il leur appartient bien sûr, car c’est en partie le sens même de leur mission et ce pour quoi ils sont payés, de construire et porter le lien entre le périmètre d’activité dont ils ont la responsabilité et le projet global.

Or, l’entreprise ne les aide que très peu à le faire : la déclinaison d’objectifs en cascade est vécue comme un ordre et le support au management est insuffisant. C’est à cet endroit qu’il faut des figures charismatiques qui portent un discours fédérateur, qui enjoignent chacun à prendre ses propres engagements au service de tous avant d’attendre l’impulsion du « haut » et qui leur apportent un suivi neutre, réconfortant et bienveillant. Le codéveloppement, le compagnonnage ou le coaching (interne et/ou externe) par exemple offrent là un large éventail d’opportunités.

La communication interne a aussi là un rôle crucial à jouer : montrer inlassablement et de façon transparente « où on en est » par rapport à l’ambition et à la feuille de route que l’on s’était donné.

L’entreprise peut aussi inviter et aider le management de proximité à construire son propre « microprojet d’entreprise » c’est-à-dire ce sur quoi il peut fédérer et qui possède un potentiel de transcendance propre à mobiliser ses équipes et que l’entreprise, dans sa globalité étendue, n’offre que très peu. Il convient d’aider les managers à identifier et construire avec leurs équipes ce qu’ils veulent « devenir ensemble », ce qui fait le sol qu’ils ont envie de fertiliser en commun, les valeurs qui leur sont propres et qu’ils souhaitent entretenir et enfin à projeter ce potentiel dans une orientation qui sert l’entreprise dans son ensemble. C’est, à nos yeux, l’un des rôles des équipes RH de proximité.

Il ne s’agit pas de fabriquer des « villages d’irréductibles Gaulois », chaque manager opérationnel construisant et protégeant les frontières d’un pré carré qu’il dirige comme une tribu. Il s’agit, bien au contraire, de l’aider à puiser le potentiel d’envie que recèle forcément ses équipes, et l’aider à le traduire en une perspective pour que celui-ci ne « joue pas contre » mais « pour l’entreprise » dans son ensemble. Seuls, confrontés à des objectifs en cascade non discutables, avec des marges de manœuvre qui diminuent et des leviers managériaux qui leurs échappent, ils ne peuvent que subir et, humainement, se ranger derrière la même complainte que celle de leurs collaborateurs.