Le déficit de pédagogie permanente est une cause de désengagement des collaborateurs qui questionne sévèrement l’entreprise contemporaine.

Le désengagement des salariés – y compris celui des cadres supérieurs, voire des cadres dirigeants dans certaines organisations – a marqué les esprits des praticiens comme des commentateurs durant ces dernières années. Chacun était alors pris d’une sorte de prise de conscience subite du manque de « sens » dans de nombreuses entreprises du secteur privé, et en particulier les plus grandes, comme dans les organismes publics pourtant supposés être mus par une mission de service public. Il fallait alors tenter de « réenchanter » le monde puis l’entreprise, le travail puis le quotidien de ceux qui le font. De nombreuses approches, méthodes ou techniques issues du marketing sont alors devenues des sources d’inspirations pour certains. Pourtant, si intéressantes soient-elles, elles peuvent contribuer à masquer l’essentiel et à détourner le praticien sincère, soucieux de restaurer une perspective qui donne sens au travail des gens, des véritables enjeux.

S’il n’est pas question de nier la nécessité de « restaurer le sens », il semble néanmoins utile de s’interroger précisément sur ce que cela signifie ! En résumé très caricatural, si « restaurer le sens » consiste pour l’essentiel à raconter une histoire qui touche les collaborateurs en jouant sur leur pathos, on est loin du compte. Or, à observer certaines entreprises dans lesquelles la posture et le discours l’emportent sur la pédagogie du projet, on peut parfois se demander si ce recours à un « story-telling » pour raconter une belle histoire qui « réenchante » la vie des collaborateurs ne contribue pas, volontairement ou non, à précisément masquer le manque de sens.

Pour tenter d’éclairer cette question, plusieurs remarques nous semblent devoir être formulées.

Le recours à la « magie » pour pallier la faiblesse de la raison ?

Revenons une fois de plus aux mots et à ce qu’ils signifient. Donner du sens au travail que l’on effectue c’est avoir une raison de le faire, et de préférence une bonne !

Cet éclairage sémantique invite à se demander si l’inflexion du discours vers l’émotion et « l’expérience » à la manière de l’histoire que papa ou maman racontait dans la pénombre ne trahit pas en réalité un certain manque de raisons logiques.

L’observation de la vie des entreprises montre en effet deux choses.

L’exigence impérieuse de la pédagogie permanente

Donner du sens au travail dans le cadre qui nous intéresse ici c’est donner de bonnes raisons à chacun d’inscrire son effort personnel dans une perspective collective que l’on a décidée pour lui. Cela recouvre donc à la fois ce qui relève de la motivation individuelle au sens classique du terme (motivation « extrinsèque » et « intrinsèque » : rémunération, carrière, amour du travail bien fait, amour du métier etc.) mais aussi de l’articulation entre cette motivation individuelle et le projet collectif. Le sujet de l’engagement ne se réduit pas à cette dimension car ce sens que l’on donne au travail des autres (« sense giving ») peut parfois rapidement être mis à mal par le sens que les personnes perçoivent au travers de ce qu’ils vivent (« sense making » ou leur « expérience ») construits à partir de faits objectifs mais surtout de toute la subjectivité de leur interprétation dans laquelle le sensible prend une part importante.

Pour autant, cette articulation entre effort individuel et perspective collective passe par la capacité de chacun à intégrer intimement non seulement « ce vers quoi l’on va » collectivement (la mission, la vision, la stratégie etc.) mais également le lien avec son activité hic & nunc. On ne peut donc se contenter de communiquer le tout encore faut-il que chaque élément qui le constitue puisse intégrer le lien entre ce « Tout », son « ici » et son « maintenant »

N’en déplaise à ceux qui appellent de leurs vœux la disparition du manager, c’est un peu là quand même l’un des aspects fondamentaux d’un rôle qu’on a progressivement dévoyé en le transformant en contrôleur des poids et des mesures, jusqu’à se plaindre du désengagement des collaborateurs qui en a résulté …

Le discours de la méthode

Et puis il y a le discours. Or, au regard des remarques précédentes, il semble utile de rappeler deux éléments importants.

On en revient donc à l’exigence de la pédagogie permanente du projet, de l’articulation entre le projet collectif et le quotidien des salariés, entre le « sense giving » et le « sense making », autrement dit entre le discours de « ceux d’en haut » et l’expérience de ceux que « ceux d’en haut voient en bas » alors que c’est de leur engagement dont ils dépendent ! Si cette pédagogie est affaire de logos, de pathos et d’ethos, l’usage abusif des deux derniers ne saurait masquer la faiblesse du premier.