Etre optimiste, ce n’est pas travestir la réalité pour la rendre plus belle qu’elle est mais bien la regarder en face, avec lucidité, et croire qu’en toute situation on dispose de leviers pour la transformer.
Il n’est plus un dîner en ville où l’on ne se gausse du désormais médiatique pessimisme des français, peuple de grincheux, tétanisé à l’idée même de devoir produire un effort pour ne pas voir sa situation de confort s’éroder inexorablement sous les coups de butoir d’économies émergées, portées par des populations jeunes, dynamiques, peu coûteuses, et pire encore, parfois même compétentes. Et ceux-là même qui raillent leurs pleutres concitoyens sont les premiers à jouer les cassandre, verre à la main, à deux doigts de s’étrangler avec leur petit four devant ce «monde d’aujourd’hui qui perd la tête» et va désormais bien trop vite pour des assistés peu enclins à rénover une compétitivité dont l’état vache à lait les aurait privés à force d’indéboulonnables acquis sociaux et autres largesses protectrices.Face à eux, dans le virage opposé, se déroulent les banderoles des irréductibles optimistes ! Doux rêveurs pour les premiers, ces derniers martèlent à qui veut les entendre les bienfaits de la «pensée positive», comme s’il suffisait de repeindre la merde en rose pour qu’elle ne pue pas. Ils nous rappellent sans cesse qu’il faut voir le verre à moitié plein, en vantant les mérites de la «positive attitude», dont il convient quand même de rappeler à cet endroit qu’il s’agissait d’une chanson de Lorie (2004) devenue Raffarinade par la suite …Bref, une représentation simpliste : d’un côté la «force obscure du mal» et de l’autre, «l’île aux enfants». Choisissez votre camp : la ciguë ou le «gloubiboulga»… Il y va en effet ainsi, dans la presse, dans les séminaires et les mondanités : les tenants du « pour » s’opposent aux défenseurs du « contre », les postures sont manichéennes et les idéologies s’affrontent… En résumé, soyez optimiste et voyez la vie en rose ou, à l’inverse, soyez pessimiste et revêtez-la de noir !
Un article du Monde1 de juin 2013 est symptomatique de cette représentation binaire des notions d’optimisme et de pessimisme. Il relate en effet les travaux d’un certain Oliver Burkeman2 qui affirme en substance selon la journaliste que «positiver serait contre-productif». Différentes études psychologiques (qu’il n’est pas ici question de critiquer) démontreraient par ailleurs que «les visions positives d’un avenir idéalisé sapent l’énergie, la motivation nécessaires pour atteindre ses objectifs» et que «s’inquiéter des tâches à accomplir, qu’il s’agisse d’examens, de dossiers à finir, ou d’entretiens d’embauche, permet de mieux se préparer à l’adversité». L’amalgame est alors aussi rapide qu’insidieux.
L’usage courant – celui qui irrigue implicitement nos représentations – voudrait que l’optimiste ne voie que le bon côté des choses ? En lecture rapide, c’est d’ailleurs ce à quoi pourrait nous inviter le dictionnaire3: «disposition qui porte à tout voir sous un jour favorable, … ». Mais encore faut-il lire la définition jusqu’au bout : «… à adopter une attitude confiante vis-à-vis des évènements». La nuance n’est pas anodine et devrait nous inviter à considérer que la signification courante qu’on assène de l’optimisme est erronée!
Non, être optimiste ce n’est pas « voir le verre à moitié plein » en occultant la réalité de la situation. Cet optimisme là est « béat », à l’image de cette réplique dans «La haine» de Mathieu Kassovitz (1995): «c’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de cinquante étages. Le mec, au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage.» En réalité, la seconde proposition du dictionnaire nous invite à considérer la notion d’optimisme ou de pessimisme, non pas comme la nature positive ou négative du regard que l’on porte sur la réalité d’une situation, mais comme confiance que l’on a en sa capacité à l’infléchir.
Il ne faut donc pas confondre cette attitude «d’optimisme béat» avec ce que l’on appelle le flegme britannique qui consiste à édulcorer la réalité noire dont on est pleinement conscient parce que cet humour agit comme un exutoire qui permet de supporter bien des situations… à l’image de ce Lord, désespérément accroché à sa bouée de sauvetage dans une mer déchaînée, qui lâche un improbable mais si noble «rather windy ! isn’t it ? ». Ni de confondre avec cet autre humour, cynique, qui régnait à l’époque en Union Soviétique, seule liberté qui restait encore alors possible pour supporter l’insupportable4.
L’optimisme n’est que le regard que l’on porte sur l’avenir, la confiance qu’on place en lui, et non pas l’interprétation que l’on fait de la situation actuelle. Ce n’est donc pas penser aveuglément que le verre est à moitié vide ou à moitié plein mais bien croire qu’on trouvera bien un moyen de le remplir. Les optimistes «plutôt que d’ignorer les difficultés, ils acceptent la réalité, effectuent les démarches nécessaires pour résoudre leurs problèmes et trouvent des solutions pour améliorer leur sort. Par conséquent, les optimistes maîtrisent avec plus de facilité les événements difficiles et stressants et ceux-ci ont sur eux un impact physique et émotionnel moins grand que sur les pessimistes. Bref, les optimistes semblent être totalement engagés dans leur vie ; ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et persévèrent devant l’adversité.»5. Tout est dit.
L’ «optimisme dispositionnel»6, théorie de référence en la matière, nous ouvre ainsi une porte évidente que les représentations courantes nous ont refermée: l’état dont il s’agit décrit la pensée (positive ou négative) face à l’avenir et conditionne par conséquent les types de comportements que nous développons en nous y dirigeant. Comme disait Jean-Claude Guillebaud «il s’agit (…) d’entrer résolument, mais les yeux ouverts, dans les tourbillons du “grand dérangement”.»
Ainsi, être optimiste, ce n’est pas travestir la réalité pour la rendre plus belle qu’elle est mais bien la regarder en face, avec lucidité, et croire qu’en toute situation on dispose de leviers pour la transformer.
Etre optimiste ? C’est entreprendre !
Peut-être devons-nous alors interpréter cette dérive des représentations d’une autre manière ? En effet, en validant implicitement une conception purement statique de l’optimisme, en nous réfugiant derrière des postures, peut-être devons-nous voir le signe d’un inconscient collectif qui chercherait à s’affranchir de la responsabilité d’agir.
1 – Annie Kahn (3 juin 2013) «Les bienfaits de la “pensée négative”» Le Monde
Article en ligne
2 – Oliver Burkeman (2012) «The Antidote : Happiness for People Who Can’t Stand Positive Thinking» – Faber & Faber
3 – Académie, 9ème édition en ligne
4 – Lire à cet effet le petit ouvrage de Philippe Meyer et Antoine Meyer sous la forme de recueil de blagues : «Le communisme est-il soluble dans l’alcool ?» (Seuil, 1979)
5 – Christiane Trottier et al. «Présentation des deux principales théories nord-américaines sur l’optimisme» – Staps 3/2007 (n° 77) – p. 9-28
Cairn.info
6 – Carver, C. S., & Gaines, J. G. (1987). «Optimism, pessimism, and postpartum depression.» – Cognitive Therapy and Research – 11(4) – 449-462