Sens, vision, mission et valeurs
En s’intéressant à la polysémie du mot «sens», on s’aperçoit que l’appel au « sens » des français est très proche de la trilogie Mission, Vision et Valeurs des anglo-saxons.
« Il nous faut peu de mots pour exprimer l’essentiel. » Paul Eluard
L’appel incantatoire à l’urgente et impérieuse nécessité de réintroduire « du sens » dans nos entreprises est devenu la règle de ces années de crise. Il n’est pas question ici de nier cette nécessité de « sens », ni même de chercher à la clarifier alors qu’elle l’exige de toute évidence devant la multitude d’amalgames qu’elle provoque, mais simplement de l’éclairer.
Or, de ce point de vue, l’observation des pratiques d’entreprises anglo-saxonnes laisserait supposer que le terme « sens » y soit moins fréquent que dans les entreprises françaises, alors qu’à l’exception notable et objective d’un terrain de rugby, il n’y a aucune raison que les dits anglo-saxons en aient moins besoin que les latins. Si le sens leur échappait en effet tant, notamment celui de la vie, jamais nous n’aurions eu à nous délecter des Monty Python et leur fabuleux « Meaning of Life ».
La communauté scientifique Nord Américaine, notamment Karl Weick, s’est d’ailleurs largement intéressée à cette notion de « sense making » – que l’on peut traduire par « faire sens » – qu’elle distingue d’ailleurs clairement et à juste titre du « sense giving » c’est-à-dire « donner du sens ».
- D’un côté, un processus de construction individuel,
- de l’autre une impulsion de l’entreprise et/ou ses dirigeants.
En réalité, les entreprises anglo-saxonnes privilégient, en tout cas dans leurs pratiques, un triptyque « mission », « vision » et « valeurs » en lieu et place de la notion de « sens ».
Or, en s’intéressant à la polysémie du mot « sens », on s’aperçoit finalement que les deux approches sont similaires.
Le mot « sens » revêt en effet plusieurs acceptions.
Il y a bien sûr le sens que nous comptons au nombre de cinq chez la majorité des humains, sauf chez les femmes où ils seraient au nombre de six, ce que l’expérience – non pas professionnelle pour le coup – tendrait à confirmer, tout du moins quand l’autre sens, au sens de la signification celui-là, ne s’en mêle, ni ne s’emmêle.
En outre, « sens » peut s’entendre d’une part comme « direction », une direction à double sens qui a donc un début et une fin, et, d’autre part, comme « signification ».
Si l’on considère le mot « sens » dans son acception sémiologique – la signification – en le transposant dans l’univers de l’entreprise alors on est très proche de l’idée de « mission » des anglo-saxons. La mission ou la raison d’être que l’on a par ailleurs dans nos traditionnelles descriptions de poste.
Si l’on entend le mot « sens » comme une direction alors, à l’image du « sens de la vie » (« d’où venons-nous ? » « où allons-nous ? »), cette direction pose à la fois la question de l’origine, donc de l’identité c’est-à-dire la dimension ontologique du sens, et celle de la destination ou de la finalité, c’est-à-dire la dimension téléologique du sens. Or, la question de l’identité renvoie évidemment à celle des « valeurs » et la question de la finalité renvoie à celle de la « vision ».
Ainsi, parce que le mot « sens » réunit à la fois l’identité, la signification et la finalité, il s’apparente de très près à la trilogie « valeurs », « mission », « vision » des anglo-saxons.