Dans la perspective d’une transformation dont on imagine volontiers qu’elle nous emmène vers un monde plus coopératif, porté par une vague digitale devenue mouvement perpétuel, quel rôle le DRH peut-il jouer ?

A mesure que le thème de la transformation envahit le microcosme professionnel sous l’emprise hypnotique d’un techno-marketing bien rôdé, l’idée que la coopération est un facteur de croissance fait son chemin, bien que l’observation de la vie des entreprises nous révèle malheureusement qu’il s’agit trop souvent d’une utopie. Dans cette perspective d’une transformation dont on imagine volontiers qu’elle nous emmène vers un monde plus coopératif, portée par une vague digitale devenue mouvement perpétuel … deux remarques doivent être formulées.

Transformation subies et transformations voulues

« A la croisée de ces chemins qui mêlent numérique et humain, la Direction des RH a un rôle à jouer pour que l’entreprise puisse collectivement apprendre à s’adapter et à tirer profit des opportunités qui s’offrent à elle »

La première remarque consiste à s’interroger sur le rôle réel que joue le numérique dans cette transformation.

Le digital est en effet un facteur objectif d’évolution des comportements dans la société civile. Il contribue par ailleurs à la désintermédiation de positions affirmées et choque des équilibres établis, y compris étatiques. Ainsi, sans aller jusqu’à s’aventurer dans l’extraordinaire champ des possibles qu’il ouvre comme nous y invite Michel Serres dans « La petite Poucette », le digital impose au moins aux entreprises de s’adapter à des phénomènes auxquels elles ne sont pas préparées voire même auxquels elles sont dans l’ensemble plutôt réfractaires quoi qu’en disent leurs discours. En cela, on peut considérer le digital comme une cause exogène de changement, ou, autrement dit, comme l’un des déterminants de transformations subies.

Mais le digital constitue également un levier de transformation souhaitée, c’est-à-dire un ensemble de solutions – à entendre au-delà de leurs seules aspects techniques – vraisemblablement utiles aux transformations qu’elles estiment devoir engager pour soutenir leur compétitivité. La transformation dont il s’agit est alors une transformation résolue, un changement dont la cause est endogène, et dans laquelle le numérique peut jouer un rôle essentiel.

Il y a donc en réalité deux espaces de transformation qui se combinent : l’adaptation de l’entreprise à un champ de réalités environnementales nouvelles et l’évolution de l’entreprise vers une (ou peut-être « des ») forme qui restaure sa compétitivité dans la durée.

Technologies et facteur humain

La seconde remarque consiste à s’étonner devant la faible place que l’on accorde dans cette affaire au facteur humain :

  • comme si la technologie à elle seule rendait la coopération évidente, spontanée et naturelle
  • comme si le seul fait de disposer d’un accès facile à des masses considérables de données suffisait à rendre intelligentes les décisions que l’on prend ;
  • comme si certaines activités pouvaient s’affranchir concrètement et durablement de l’organisation et l’ordre que commande parfois le besoin d’efficacité et de productivité

Dans les années 90 déjà, les adeptes du Knowledge Management avait déjà pêché par le même type d’excès d’allégeance aux promesses démesurées des technologies, occultant alors quasi systématiquement le facteur humain et s’étonnant ensuite, comme un soufflé qui retombe, de la faible réalité du partage de connaissances au sein des entreprises. Pourtant les travaux sur la socialisation de Nonaka & Takeuchi, guidés par un approche qui ne dissocie pas l’Homme et les connaissances, auraient pu inviter la communauté à plus de lucidité en la matière. Là encore, la réponse la plus fréquente fut d’ordre technologique, comme si les chats et autres forums de l’époque, bien qu’offrant une interactivité synchrone ou asynchrone réelle, suffisaient à donner envie d’interagir !

En résumé, sans diminuer l’importance du rôle des technologies en tant que telles, sous-estimer l’importance de l’humain, avec ses inerties, ses incohérences, et tout ce qui en fait le charme … est une erreur dont la conséquence sera au moins de ralentir la survenue des effets escomptés.

L’importance du rôle de la DRH

Il y a donc plusieurs forces, qui ne s’opposent pas forcément, mais se combinent certainement. Il faut évidemment en tenir compte pour les orienter comme l’on tenterait de guider par petites touches un banc de sardines pour guider celui-ci dans la direction que l’on estime bonne :

  • s’adapter à de nouvelles contraintes externes qui s’immiscent dans l’interne,
  • faire évoluer cet interne vers une forme collective désirée,
  • avec un corps social composé et dirigé par des Hommes, avec tout ce que cela comporte,
  • le digital et sa démocratisation massive constituant un fait majeur, donc opportunité et menace, de cet ensemble.

A la croisée de ces chemins qui mêlent numérique et humain, la Direction des RH a un rôle à jouer pour que l’entreprise puisse collectivement apprendre à s’adapter et à tirer profit des opportunités qui s’offrent à elle. Or, dans les faits, la « maturité numérique » des entreprises est très variable d’autant qu’elle est la résultante:

  • d’une part de la « maturité numérique » des Hommes qui la composent, en d’autres termes le degré d’appropriation du digital par les collaborateurs, les managers et les décideurs
  • d’autre part de la réalité de « l’intégration » du numérique dans son organisation, ses processus et son business.

Dans cette optique, le rôle de la DRH peut au moins à ce stade prendre 4 formes (non exhaustives) et résumées dans le schéma ci-dessous.

Un rôle enrichi de la prospective et de l’éducation

En synthèse, à l’instar de la mondialisation ou de la financiarisation des entreprises, le numérique est un fait majeur qui bouleverse beaucoup de choses, y compris les plus établies. Les Hommes sont donc naturellement concernés et la Direction des RH a alors évidemment un rôle à jouer.

Ce rôle, face à des grands chambardements dont la totalité des acteurs de l’entreprise ne mesure pas toujours l’ampleur des conséquences lorsque celles-ci ne font qu’émerger, devrait peut-être toujours suivre le même séquencement:

  • Prendre conscience de la réalité : comprendre les problèmes qu’elle pose, cerner les variables clés qui la composent, distinguer ce qui est invariant et de ce qui est conjoncturel;
  • Discerner la manière dont on veut se positionner par rapport à cette réalité : que peut-on faire ? vers quoi veut-on aller ? quels sont les scenarii possibles ? quelles réponses privilégier?…
  • Expliquer et éduquer sur les scenarii possibles : pour que chacun puisse contribuer à la réussite collective du scénario que l’on a privilégié, pour que chacun comprenne le contexte et les raisons qui pourraient amener à faire évoluer les choix décidés et puisse s’y adapter le cas échéant;
  • Faire évoluer progressivement ses propres pratiques et processus pour être cohérent avec le scénario choisi en veillant à s’ajuster en cours de route en fonction des résultats obtenus;
  • Pour finalement être en ordre de marche cohérent c’est-à-dire avoir mis en œuvre une configuration et des processus qui servent pleinement les choix que l’on a faits.

En définitive, face à un fait si impactant, en plus de ses exigences opérationnelles sur ses propres processus et pratiques, le rôle du DRH s’enrichit ici d’une double dimension, à la fois prospective et éducative.