DRH ou Direction des Réseaux Humains, quelle logique?

Relations, Ressources, Richesses, Réseaux… Il est nécessaire de revenir aux fondements logiques de ces évolutions pour mieux en comprendre la réalité. Ainsi, au-delà des effets de mode et des effets de manche, deux questions s’imposent : dans quelle logique cela s’inscrit-il ? quelle en est la réalité ?

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Relations, Ressources, Richesses, Réseaux… A croire, que la fonction RH ne manque pas «d’R» ! A l’heure où de nombreux acteurs cherchent à s’approprier les mutations profondes du «2.0», comme éblouis par une modernité qui dessinerait le chemin vers un nouvel eldorado, il est nécessaire de revenir aux fondements logiques de ces évolutions pour mieux en comprendre la réalité. Ainsi, au-delà des effets de mode (le «2.0») et des effets de manche (le «R» de la fonction qui n’en manque pas), deux questions s’imposent : dans quelle logique cela s’inscrit-il ? Et bien sûr, son corollaire : quelle en est la réalité ?

Pour bien comprendre les fondements de cette évolution, il faut se souvenir d’un principe simple : toute organisation utilise des modèles, ou des combinaisons de modèles, qui orientent et définissent ses grands principes d’action. Ces modèles sont des représentations de la réalité à un moment donné. Par nature, ils sont donc plutôt statiques quand la réalité, elle, est plutôt changeante.

Parmi les grands modèles qui irriguent la pensée managériale depuis plus d’un siècle, le modèle « industriel », issu de l’organisation scientifique du travail, est le plus connu et encore très répandu. En outre, le développement d’une « société du savoir » a donné lieu à l’émergence d’un autre modèle, le modèle « post-industriel », dont les termes et les liens logiques sont très différents, car résolument tournés vers l’innovation collective.

Par définition, ces représentations ont toujours un temps de retard par rapport à l’évolution de l’environnement qu’elles modélisent. Lorsque Fernand Braudel, par exemple, préférait le terme «industrialisation» à celui de «révolution industrielle», il rappelait que le monde agricole n’avait pas brutalement disparu au profit d’un monde industriel mais qu’il s’agissait bien d’une évolution lente, le poids de l’économie agricole ayant lentement décru au profit de celui de l’économie l’industrielle. De la même manière, l’économie de l’immatériel, qui repose sur les connaissances, émerge progressivement dans nos sociétés. Et par ailleurs, l’importance des connaissances augmente aussi dans les entreprises, quel que soit le secteur, à mesure que la complexité des problèmes à résoudre augmente. Toutefois, si les technologies de la connaissance ont envahit très rapidement les mœurs et les usages, leur traduction en termes de maturité économique ne se réalise pas au même rythme. Une transition économique est donc certainement en marche mais elle sera longue.

Les exigences auxquelles un métier est confronté, le métier des RH par exemple, évoluent plutôt au gré du flux des demandes incessantes de la réalité alors que les principes qui régissent la manière dont il est organisé et structuré est plutôt dérivée des modèles. Ceci explique en partie la raison pour laquelle il y a toujours un décalage entre les observations de ceux qui, à la lecture des signaux faibles de l’environnement, décèlent l’émergence d’un « nouveau » modèle et la réalité qui prédomine dans les usages. Il en va également ainsi du «R» de la fonction «R»H, qui traduit ces transitions entre modèles. C’est ce que nous tenterons d’expliquer ci-après.

Le modèle industriel issu de l’organisation scientifique du travail est tourné vers la recherche de productivité. Ainsi, puisque l’entreprise vise un principe d’économie de ressources, chaque grand domaine ou chaque métier, en cela qu’il s’inscrit dans un découpage de la chaîne de valeur ajoutée, doit adopter cette même posture d’optimisation permanente des ressources qu’il emploie pour obtenir le résultat souhaité.

Le principe directeur sous-jacent pour la fonction RH est alors simple : on définit d’abord la structure c’est-à-dire une organisation puis on détermine ensuite ses besoins en termes de ressources, les compétences requises sur un plan collectif (en volume : GPEC) puis individuel (adéquation homme/poste) dans le respect du principe d’optimisation emploi/ressources. D’un côté le moteur, de l’autre l’énergie qu’il consomme. De la même façon, une direction informatique, définira des processus (le moteur) et veillera au carburant qu’il utilise, l’information. En d’autres termes, pour simplifier l’image : c’est parce qu’on a un squelette bien conçu (l’organisation de la structure), des muscles souples et puissants (les hommes), du sang qui les irriguent (l’information) et des veines qui le font circuler (processus) que le sportif court vite. Dans cette optique, l’homme est alors une ressource au même titre que l’information.

Pour optimiser cette logique de productivité, on privilégiait alors la division des tâches : au plus fin, le poste, à l’échelon intermédiaire, des fonctions repères, au niveau le plus macro, le métier. Le métier comme le poste sont donc soumis au même principe d’économie de ressources.

Dans une première étape, le découpage en métier à vu émerger la fonction d’administration du Personnel. La fonction avait alors pour mission de ne s’occuper que de la logistique liée à l’emploi des personnes, comme si celles-ci n’avaient pas d’autres besoins, exigences et contraintes que d’être gérées.
Puis la sociologie des organisations a montré que les choses n’étaient pas si simples : ces personnes forment aussi des groupes qui interagissent entre eux et s’organisent pour atteindre des buts. La notion de Relations Humaines émergeait alors.

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Dans la poursuite de la finalité initiale d’optimisation des ressources, les entreprises ont commencé à professionnaliser la fonction en introduisant progressivement des méthodes et des outils destinés à améliorer à la fois le rendement du moteur (l’organisation) et l’efficacité marginale de sa ressource (les Hommes). La gestion des « Ressources Humaines » prenait alors ses lettres de « noblesse » comme modèle de représentation dominant, à mesure que les entreprises adoptaient le registre de déclinaison RH du modèle industriel: GPEC, évaluation de postes, classification, développement des compétences etc.

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Dans le même temps, le département informatique prenait aussi son envol. De la logistique d’achat de machines et de logiciels, il devenait une direction cherchant à optimiser le système d’information de l’entreprise en industrialisant les processus à l’aide d’outils informatiques. Ce découpage a naturellement créé à des zones de friction entre les deux fonctions ainsi que des zones d’inefficacité.

Les zones de conflit s’exprimèrent sur le terrain du contrôle de la ressource stratégique. Les Hommes étant humains, et l’information leur donnant du pouvoir, ils se sont battus sur ce point : DRH et DSI se heurtent souvent au contrôle de l’information (annuaire d’entreprise contre SIRH, intranet de communication etc.).

Par ailleurs, les sources d’inefficacité proviennent du découpage en lui-même, qui conduit à ce que le cloisonnement des processus ne soit pas toujours fluide au regard des besoins essentiels de l’organisation.

Cette représentation de la fonction Ressources Humaines, et sa ligne de partage, avec la direction informatique est encore le modèle le plus courant.

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Le modèle post-industriel est tourné vers l’innovation et vise dans ses principes à valoriser les ressources rares pour optimiser la performance de l’ensemble de l’entreprise, mesurée à sa son agilité et à sa capacité d’adaptation et d’innovation.

La complexité grandissante des situations auxquelles les entreprises sont confrontées, l’incertitude liée à la fréquence des changements et l’augmentation exponentielle de l’intensité concurrentielle, exige en effet toujours plus d’adaptation, de flexibilité, et d’innovation de la part des entreprises. L’enjeu de l’intelligence collective qui en résulte place l’accent sur les connaissances, leur développement et leur capitalisation. L’Homme devient alors la ressource stratégique, le capital sur lequel on investit, une Richesse. En d’autres termes, l’information dans un système, dissociée du savoir détenu par les hommes ne suffit pas. L’information, source de la connaissance, devient le principal carburant de l’organisation. Le concept d’entreprise apprenante traduit bien cette idée.

Les zones de conflit entre fonctions informatique et RH traduisent d’ailleurs cette réalité. L’information devenue connaissance, il fallait alors être maître de sa destinée. Le management des connaissances a certainement été l’un des théâtres les plus évidents de ce débat. Portée par la puissance des systèmes et des outils, la direction informatique s’est emparée du sujet pendant de nombreuses années. Jusqu’à ce que l’humain réapparaisse: la coopération n’est pas naturelle et la culture du partage encore moins. Pour que l’information devienne connaissance, elle a besoin d’être transmise selon différents modes et notamment par celui qu’on appelle la « socialisation » pour les connaissances tacites.

Les défis des fonctions RH et informatique évoluent alors en conséquence. La fonction RH est placée face au défi de l’intelligence collective quand la fonction informatique doit faire face à la fluidité des processus métier et à leur harmonie avec les besoins de l’organisation : on recherche plus la souplesse et l’adaptation du tout, et moins l’efficacité marginale de chacun de ses composants.

En écho à l’expression direction des « Richesses humaines » naît alors une fonction informatique faite « d’architectes qui urbanisent ».

Les sources de conflits continuent à exister naturellement (puisqu’il y a partage des eaux) mais les lignes de démarcation se déplacent.

Le conflit entre RH et SI ne porte plus sur l’information mais sur les territoires et devient donc un sujet de gouvernance des systèmes d’information.

Les zones d’inefficacité se déplacent également : elles portent désormais sur la complexité des systèmes d’information.

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La richesse dont il est ici question c’est le continuum « information-connaissance » et la façon dont celui-ci se crée, s’enrichit et se développe individuellement & collectivement. Sur ce plan, les évolutions comportementales observées sur Internet sont proches de ce que l’on peut observer dans l’entreprise.

La démocratisation des technologies issues de l’Internet a permis à ce que chacun devienne plus un acteur qu’un consommateur d’information. C’est cette évolution, qui s’est entre autres matérialisée par l’essor des blogs, qui marqua la première rupture avec le Web 1.0 : on passait en quelque sorte d’une ère du «Read-Only Web» à celle du «Read-Write Web», ou l’ère du «consomm’acteur» d’information. Le phénomène de production d’information par les consommateurs s’est ensuite très vite amplifié («Content Generated by User» ou le «Contenu Généré par les Utilisateurs») sous l’impulsion des medias sociaux. La combinaison de ses deux évolutions comportementales a donné naissance au vocable 2.0 pour marquer l’avènement d’un Web collectif où chacun est à la fois acteur et consommateur de l’information.

Le pas fut alors vite franchi pour parler d’une « DRH 2.0 », par analogie au modèle post-industriel dans lequel la notion d’intelligence collective est centrale, et fondée, entre autres, sur la capacité de chacun à être consommateur et acteur de la connaissance.

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En parallèle, les medias sociaux démontrant en partie une réelle capacité à produire concrètement une forme d’intelligence collective, les DRH commencent à en importer les principes en interne dans leurs entreprises (réseau social d’entreprise, wiki etc.). Les medias sociaux, au regard de nombreux observateurs, préfigurent ainsi en quelque sorte un nouveau mode d’organisation de production de connaissances et d’intelligence collective.

En réalité, le formidable essor des medias sociaux ne provient pas uniquement de la capacité de chacun à devenir producteur d’information. Le phénomène collectif de réseau est également essentiel et celui-ci n’est possible dans les faits qu’à la condition qu’un principe d’ouverture maximum soit respecté. Or, c’est là où la comparaison avec le monde de l’entreprise est en léger décalage, car cette dernière est encore souvent régie par de forts principes de confidentialité et de contrôle.

Toutefois, les écosystèmes d’affaire conduiront progressivement de fait les entreprises à repenser le tracé des frontières entre leurs univers interne et externe : les deux seront « condamnés » à s’interpénétrer.

Ainsi, lors d’une conférence pour ADP intitulée «La guerre des talents est terminée, le talent a gagné» ( voir présentation ici), en octobre 2008 à Paris puis en avril 2009 à Lyon, j’avais en ce sens évoqué que l’entreprise disposait de plus de talents à l’extérieur qu’à l’intérieur : la richesse dont nous parlions, la connaissance, est par définition plus abondante à l’extérieur, et l’entreprise qui saurait faire naturellement appel à ses réseaux externes dans le cadre de ses processus usuels disposerait alors d’un avantage concurrentiel significatif. Cette ouverture vers le « R » des Réseaux constituait alors le prochain défi du DRH, peut-être celui que l’on pourrait qualifier de «DRH 3.0» !

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